Sois prudent, me dit mon genou, n’abuse pas des kilomètres, sinon je n’irai plus faire de jogging avec toi. Ne soulève pas de poids trop lourds, me raconte mon coude, je te rappelle que tu m’as déjà blessé, l’année dernière, en tombant à la renverse et en me frappant contre le coin de la moulure.

– Oui, oui vous deux, du calme, je ne vous oublie pas. D’ailleurs, je ne vois pas comment je pourrais, puisque que vous me rappelez régulièrement à l’ordre.
Le corps guérit, mais il n’oublie pas.
En 2008, lors de ma dernière randonnée sur le Chemin de Compostelle, je me suis blessé à un genou. J’avais bêtement frappé avec ma botte une roche qui saillait sur le chemin. Une petite douleur est alors apparue et elle a persisté, puis s’est amplifiée progressivement. Il ne nous restait que 100 kilomètres à parcourir, je n’allais tout de même pas arrêter et d’ailleurs, une fois mon genou bien réchauffé, ça n’allait pas si mal. Et puis il y a également eu cette gentille dame, qui parcourait le chemin avec nous et qui me voyait sautiller un peu à chaque pas. Elle m’avait offert des anti-douleurs (attention, ils sont forts, m’a-t-elle dit). J’ai donc pu parcourir un autre 75 kilomètres sans trop souffrir. Le matin du dernier jour, alors qu’on était à peine à 25 kilomètres de Saint-Jacques-de-Compostelle, mon genou a refusé de suivre. Même réchauffé, même avec les anti-douleurs, lui, avait décidé que c’était assez. Parfois la volonté ne suffit pas, il faut aussi écouter son corps. Nous avons donc fait les derniers 20 kilomètres en taxi. C’est dommage, parce que l’arrivée au pied de la cathédrale après cette longue randonnée est une expérience inoubliable, c’est l’aboutissement d’un projet, le couronnement de l’aventure.
Depuis, si je marche plus d’une dizaine de kilomètres, quelques jours d’affilé, mon genou me signale que j’en fais trop. Idem, si je me laisse entraîner par le plaisir et que j’étire un peu trop le parcours de jogging. Ça ne me limite pas spécialement dans mes activités, disons que ça me limite dans les abus et on le sait, ce sont eux qui sont à l’origine de beaucoup sinon de la plupart de problèmes de santé. Une fois un certain seuil atteint, il en restera des séquelles avec lesquelles on devra composer pour le reste du chemin.
En même temps, vivre trop prudemment, ce n’est pas vivre au sens où je l’entends. L’important n’est pas forcément d’être là très très longtemps, mais d’avoir plutôt fait bon usage du temps qu’on a reçu.
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