Pour l’atelier d’écriture d’Alexandra. En s’inspirant d’une photo de Claude Huré, écrire un court texte, juste pour le plaisir d’écrire.

Mariuk Kujiuk était né après la fonte des glaciers. Enfant, on lui avait souvent raconté l’époque où les chiens étaient encore au coeur du mode de vie de son peuple pour la chasse et les déplacements en traineaux sur les sols enneigés au nord du Canada. C’était un temps révolu. la neige avait depuis longtemps disparue et le niveau des mers s’était considérablement élevé, repoussant les villages toujours plus loin à l’intérieur des terres. Le territoire des populations Inuits rétrécissait, au fur et à mesure que grandissait la mer Arctique. De gros navires marchands passaient maintenant régulièrement d’est et ouest et vice-versa pour soutenir à moindre coût le commerce florissant entre les pays d’Europe occidentale et l’Asie. C’était la nouvelle autoroute maritime.
La chasse aux phoques sur la banquise avait été remplacée par la chasse aux détritus qui s’accumulaient le long des berges. Avec ses chiens, au petit matin, Mariuk parcourait quotidiennement les plages de galets pour ramasser les dernières trouvailles rejetées par la mer. Mariuk aimait ses chiens. De fidèles compagnons, habiles à dénicher pour lui les derniers rejets ayant une possible valeur.
Ce matin-là, ses chiens s’étaient précipités autour du corps d’un animal rejeté par la mer. Un animal étrange que Mariuk n’avait jamais vu auparavant. Un énorme quadrupède gris, sans poil, de la taille d’une baleine et ayant un long appendice à place du museau. Lourd et sans nageoire, c’était visiblement un animal terrestre, mais qui semblait curieusement venu de la mer. Alors que les chiens le reniflaient, l’animal releva soudainement son appendice pour en expulser un jet d’eau de mer, comme le font les baleines. Incroyable! L’animal était toujours vivant. Rappelant avec fermeté ses chiens qui couinaient d’impatience autour de l’animal, Mariuk s’approcha pour mieux l’observer. Il ne semblait pas blessé, juste totalement épuisé. Peut-être que cette bête mystérieuse venait d’un de ces autres mondes sous la mer que les chamans visitaient en rêve. Il se dit qu’il était de son devoir de sauver cet animal étrange que le destin avait mis sur sa route.
Il retourna au village et revint plus tard avec un peu de maktaaq, ce plat Inuit traditionnel composé de peau et lard de baleine, riche en vitamine C. L’animal approcha son appendice de la nourriture offerte, mais refusa de l’avaler. En revanche, il apprécia et bu toute l’eau douce qu’on lui présenta. Mariuk fit d’autres tentatives infructueuses avec des oeufs de canards, de lagopèdes, des petites portions de boeuf musqué, de caribou. L’animal levait systématiquement le nez sur cette nourriture. Finalement, il accepta les baies sauvages et les plantes racines. L’animal était donc herbivore.
Dans les jours qui suivirent, Mariuk fit plusieurs allers-retours à la plage pour nourrir son nouveau compagnon, qui semblait apprécier sa présence, lançant à son arrivée un cri similaire à celui du morse. Avec ces rations d’eau, de petits fruits et de végétaux, l’animal prit du mieux. Le 4ième jour, quand Mariuk et ses chiens arrivèrent, l’animal était debout. Il approcha son appendice de son visage en souffla légèrement, comme pour lui dire merci. Mariuk appela son nouveau compagnon Qulleq, ce qui signifiait « le plus haut ». Qulleq le suivi de bonne grâce jusqu’au village où son arrivée suscita des cris où se mêlaient crainte et curiosité devant la hauteur de l’animal. Les femmes retinrent les enfants pour qu’ils ne s’approchent pas de cette bête étrange. Les anciens estomaqués en le voyant s’agenouillèrent en levant les mains au ciel. Ils reconnaissaient en lui, la description d’un l’animal légendaire dont on racontait le règne dans les traditions Inuits transmises oralement. Le Grand Mammouth avait longtemps été le gardien du territoire alors que le glacier recouvrait l’horizon à perte de vue dans toutes les directions. La légende disait aussi que l’espèce disparaitrait sous la mer durant des millénaires et reviendrait pour protéger le peuple inuit quand sa survie serait menacée.
C’est ainsi que Limbo, cet éléphant de cirque destiné au zoo de Londres avait détourné son destin en s’échappant d’une cage mal verrouillée du navire marchand l’amenant à Londres. Avec un peu de chance et beaucoup de courage, il avait donné un tout autre sens à sa vie en devenant un peu malgré lui, le gardien sacré du nouveau territoire.
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