
De l’âge de 6 à 15 ans, j’ai passé tous mes étés à notre chalet de Venise-en-Québec. J’en garde des souvenirs mémorables, de plaisir, d’insouciance et de liberté.
Un de ces étés, Christian, un ami d’été et résident de la place, m’avait appris à jouer au billard. On se rendait tous les deux régulièrement à pied ou en vélo au Casino de la plage Champlain, en longeant la route étroite bordant le lac sur un peu moins de deux kilomètres. Dans une grande salle ouverte qui sentait l’âge vénérable du bâtiment, on retrouvait plusieurs tables de billard. Chaque partie coûtait 25 cents. Il fallait insérer la pièce dans l’ouverture sur le côté de la table, pousser et relâcher le mécanisme pour libérer les boules qui tombaient alors en un grondement sourd dans une ouverture située à l’extrémité de la table. Ce bruit très spécifique annonçait à tous les joueurs sur place, qu’une partie se préparait.
Il fallait ensuite récupérer les boules numérotées de 1 à 15 et les disposer correctement en ordre numérique à l’intérieur d’un triangle en plastique ou en bois et les compacter en positionnant la boule numéro 1 sur une marque destinée à cette fin sur la table. Le triangle était soulevé doucement, sans déplacer les boules et la partie pouvait commencer.
Avec sa baguette, un joueur frappait violemment la boule blanche pour la projeter contre les 15 boules encaissant bruyamment le coup et se dispersant, se frappant les unes contre les autres pendant quelques secondes jusqu’à ce que tout s’arrête. Si, lors de la casse, une ou plusieurs boules entraient dans une des 6 ouvertures, situées dans les coins ou au centre, celle-ci déterminait le regroupement de boules (1 à 7 ou 9 à 15) qui seraient celles du joueur. Il pouvait alors continuer à entrer ses boules en les frappant avec la blanche jusqu’à ce qu’il rate. C’était alors à l’autre joueur de prendre place pour tenter de faire entrer ses boules de l’autre catégorie. Le gagnant était celui qui arrivait à entrer toutes ses boules, puis la noire, la numéro 8.
Le billard est un bel exercice de géométrie des angles, de calcul de la force requise et de projection spatiale. Il faut prévoir ce qui se passera quand on frappera la boule, calculer l’angle dans lequel la blanche touchera sa cible pour la faire entrer dans la poche d’angle ou latérale, où ira la blanche par la suite, où seront les autres boules après coup et déterminer où on souhaite placer la blanche pour continuer à jouer. Quand on gagne en expérience, on maîtrise toujours mieux tous ces aspects du jeu. Au départ, on ne pense pas à tout cela, mais ça vient avec le temps.
Une règle connue de tous voulait par ailleurs que le gagnant puisse rester sans payer pour la partie suivante. Le prochain adversaire à affronter pouvait être n’importe qui dans la salle. Il suffisait qu’il ait déposé sa pièce de 25 cents sur le bord de la table pour indiquer qu’il voulait relever le défi. C’était un peu l’équivalent du coup de gant des duels d’épée en Europe au XVIIe siècle.
Au départ, je perdais la plupart du temps, que ce soit contre mon ami qui avait plus d’expérience ou contre un adversaire de la place qui voulait afficher son propre talent, mais j’ai persévéré et un jour, je suis devenu bon. Je me souviens d’une fois, plusieurs années plus tard, dans une brasserie du coin où j’étais venu pratiquer, avoir entendu le commentaire d’un spectateur qui avait dit: « Il est pas mal bon, le p’tit Forest ». Je l’avais reçu comme une marque d’appréciation pour tous les efforts mis au cours de ces années et même si je ne l’avais pas remercié, ça m’avait fait plaisir.
On ne sait pas toujours comment un simple commentaire positif peut faire plaisir, alors je me dis que je ne m’en priverai jamais, si l’occasion se présente.
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