Flocons de Bonheur

On le pourchasse, on se l'achète, on le cherche chez l'autre, dans son regard, dans ses gestes. On vogue de plaisirs en plaisirs sans vraiment le toucher. Mais qu'est-ce donc alors que le bonheur?

Pour l’atelier d’écriture de Leiloona. En s’inspirant d’une photo de Vincent Hequet, écrire un court texte, juste pour le plaisir d’écrire.

« Mon trésor est sous l’épouvantail et celui qui saura le découvrir héritera de tout sans partage ».

31062223_10155593023054952_8668365303324868608_oEn ce matin pluvieux du 2 mai, à 5h30, le notaire venait ainsi de dévoiler l’essentiel du testament de Serge Vallières à ses proches encore tout endormis et plutôt frustrés d’avoir dû se lever si tôt. Ils étaient onze en tout, un frère, deux soeurs et leur famille respectives, tous avides, de voir quelle partie de l’héritage leur reviendrait. Tel qu’indiqué dans les dernières volontés du défunt, le notaire les avait tous convoqués au dévoilement du testament dans la maison ancestrale pour 5h30 précisément. La lecture du notaire fut suivi d’un long silence.

– Mais qu’est-ce que c’est que ces naiseries, c’est tout? dit Gilbert, le frère de Serge?

– C’est tout, répondit le notaire. La totalité des possessions de Serge Vallières iront de droit et en totalité à celui d’entre vous qui saura démontrer que le trésor trouvé sous l’épouvantail correspond dans son entièreté à la description que m’en a laissé M.Vallières sous pli confidentiel.

– C’est complètement ridicule, s’exclama Gilbert en bougonnant. À notre âge en plus, nous faire déplacer si tôt pour une course au trésor. J’en reviens pas. C’est ben mon frère ça!

– Tais-toi donc Gilbert, lui répondit sa soeur Henriette, on sait tous que ce n’était pas le grand amour entre Serge et toi. Tu espérais juste venir et repartir avec ta part du gâteau, on le sait tous.

– Et pas toi, je suppose? retorqua Gilbert.

Un lourd silence s’installa un moment dans la pièce. Puis, les chaises se mirent à gratter le sol alors que l’idée faisait tranquillement son chemin dans les esprits des uns et des autres. La ferme ancestrale, les terres, les équipements agricoles et la magnifique demeure parfaitement entretenue, tout cela valait des millions et un seul d’entre eux en deviendrait l’unique propriétaire, « hériterait de tout sans partage ». un seul! Il suffisait d’être celui-là pour du coup devenir instantanément millionnaire.

– Je resterai ici jusqu’à ce soir tel que voulu par M.Vallières, annonça le notaire. Vous aurez jusqu’à 23h pour venir me faire part vos découvertes. Si personne n’y parvient avant l’échéance annoncée, la ferme et toutes ses possessions seront vendues et les fonds recueillis seront remis à l’hôpital Ste-Justine. Voilà, c’est tout, bonne chance à tous!

Un peu ébranlés par la tournure des événements, ils se levèrent dans un brouhaha de chaises, frère et soeurs se regardant avec une certaine animosité. Gilbert, sa femme et leurs trois filles s’isolèrent dans un coin de la pièce en chuchotant, paufinant sans doute leur stratégie et évaluant leur chance de l’emporter dans cette impensable course au trésor. Henriette, son mari et leurs deux fils, sans perdre de temps s’étaient déjà précipités à l’extérieur, en direction du garage à la recherche de pelles pour le plus rapidement possible, localiser l’épouvantail et creuser le sol pour en extraire le trésor. Juliette, l’autre soeur de Serge, toute menue, était restée sans bouger sur sa chaise, tandis que Julien, son fils, écouteurs sur la tête, écoutait calmement sa musique les yeux fermés en tapant légèrement du pied. Après quelques minutes de discussion dans le coin, Gilbert sorti à son tour à grands pas, suivi de son clan.

S’étonnant que Juliette n’ait émis aucun commentaire et n’ait pas bougé d’un iota, le notaire voulu la sonder.

– Vous semblez désemparée, Mme Valllières. Ne tenez vous pas, comme les autres à participer à cette curieuse course au trésor et possiblement hériter des biens de votre frère?

– Je ne suis pas désemparée du tout, répondit Juliette. Je connais très bien mon frère Serge et je suis persuadée que toute cette mise en scène n’est qu’une vaste blague et qu’il avait déjà tout prévu.

– Que voulez-vous dire?

– Contrairement à Gilbert et Henriette, mon fils Julien et moi venons souvent visiter Serge à la ferme qu’il a hérité de papa. Je connais très bien cette terre et les méthodes de Serge. Julien lui donnait d’ailleurs un coup de main à tous les printemps pour notamment installer à tous les 10 mètres de vieilles retailles de tissu battant plein vent pour éloigner les oiseaux migrateurs. Avez-vous une idée du nombre d’épouvantails que ça représente, dit Juliette avec un petit sourire en coin.

– Ça doit en faire beaucoup en effet, répondit le notaire, songeur.

– Il n’y pas de trésor sous les épouvantails M. le notaire, j’en suis persuadée. Serge avait probablement déjà prévu léguer son héritage à l’hôpital Ste-Justine, voilà tout. Il a juste voulu nous faire une dernière blague pour rigoler un peu là d’où il est. Allez, viens Julien, dit Juliette à son fils. On va aller prendre un café à la cuisine pendant que ces clowns s’amusent à retourner la terre.

À l’extérieur, il y avait en effet beaucoup d’activité. Henriette et sa famille, tous armés de pelle creusaient avec acharnement sous l’un ou l’autre des innombrables épouvantails qui s’étendaient jusqu’au bout de la terre. Gilbert, plus fin renard (ou paresseux, c’est selon), avait pour sa part démarré le tracteur à pelle rétro et avançait à un rythme régulier, creusant d’un coup de pelle, un trou de bonne profondeur et passant aussitôt à l’épouvantail suivant, tandis que sa femme et ses filles observaient attentivement la terre éventrée à la recherche d’un coffre ou toute autre forme de trésor. Jusque tard le soir, ils retournèrent la terre en tous sens, sans trouver le moindre trésor, comme l’avait justement prédit Juliette.

Alors que la nuit était déjà quasiment installée, sales et exténués ils revinrent au salon là où les attendait le notaire. Juliette et son fils étaient tout de même restés pour assister au dénouement final.

– Il est 22h50, annonça le notaire et personne d’entre vous n’est venu me présenter ses découvertes. N’avez-vous rien trouvé?

– Serge était complètement fou, s’exclama Gilbert. Avez-vous idée du nombre de trous que l’on a creusé aujourd’hui? On a quasiment labouré toute la terre sans rien trouver. Je me demande d’ailleurs s’il y a vraiment un trésor là-dessous.

– Que va-t-il donc arriver maintenant, M. Le notaire, dit Henriette. Allez-vous vraiment vendre la terre ancestrale au plus offrant et donner notre héritage à un hôpital?

– Faute de m’avoir présenté le trésor, ce sont en effet les dernières volontés de M. Vallières, répondit le Notaire et mon rôle consiste à les faire respecter.

Du fond de la salle, Julien leva la main, comme pour demander le droit de parole.

– Oui, jeune homme, vous avez quelque chose à dire?

– Heu oui…en fait, j’ai réfléchi un peu à tout cela aujourd’hui et je me suis dit que ça n’avait aucun sens que Mononc’ Serge ne veuille pas conserver la ferme dans la famille, parce que la terre, c’était tout pour lui, c’était sa passion, sa vocation, sa vie et au fond, en y repensant, je me suit dit que ce que Mononc’ Serge voulait peut-être nous dire, c’est qu’en réalité, son trésor le plus cher est bien sous l’épouvantail, il est en fait sous tous les épouvantails, parce que son trésor, c’était sa terre tout simplement. Voilà ce que je voulais dire.

Souriant et étonné de ce dénouement de dernière minute, le notaire s’exclama:

– Bien vu jeune homme et c’est exactement ce que Serge Vallières avait inscrit sous pli confidentiel. Je vous invite d’ailleurs tous à venir le vérifier par vous-même.

Maugréant, sales et fatigués, ils se levèrent pour constater la véracité du document et la description que faisait Serge de sa terre.

Julien hérita donc de toute la propriété, incluant une terre presqu’entièrement labourée et prête à recevoir les premières semences du printemps.

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18 réponses à « La course au trésor »

  1. Avatar de Cécile C
    Cécile C

    Bonjour,
    Ce texte est grandiose …j’aime cette morale simple que l’on oublie bien trop souvent

    1. Avatar de pierforest

      Grand merci à toi Cecile, ça me fait chaud au coeur.

  2. Avatar de Marie Kléber

    Splendide en effet!
    La vérité était à portée de tous. Il suffisait juste de regarder.

    1. Avatar de pierforest

      Ton commentaire me touche Marie. On voit toujours les opportunités avec une vision déformée par nos propres ambitions.

    2. Avatar de Vénusia
      Vénusia

      Un texte particulièrement abouti. Le traitement de cette photo par le conte est une réussite. La Morale de l’histoire nous ramène à l’essentiel et à la simplicité.

      1. Avatar de pierforest

        Merci Venusia. J’ai toujours aimé raconte des histoires et quand mes enfants étaient petits, ça faisait partie d’une sorte de rituel avant le dodo où en partant d’un animal, un nom et un lieu, je devais leur improviser une histoire. C’était une sorte d’atelier artisanal. Aujourd’hui, c’est ici que je m’amuse à raconter des histoires.

  3. Avatar de Tara
    Tara

    Une jolie fable bien menée.

    1. Avatar de pierforest

      Merci Tara et bonne journée à toi.

  4. Avatar de Claude
    Claude

    Bravo Pierre ! Ton texte est vraiment très bien mené. « Le travail est un trésor… » (ça se discute). Tu as des talents de conteur… Pour la morale (qui n’est jamais un passage obligé), j’espère que Julien va laisser quelque chose à l’hôpital Sainte Justine ; cet établissement peut un jour lui être utile…

    1. Avatar de pierforest

      Merci Claude. C’est un conte qui est inspiré de ce que je vois autour de moi. Mon gendre est co-propriétaire d’une ferme laitière dont les terres sont transmises de père en fils depuis près de 10 générations. Je vois chez eux cette passion, cette vocation de la terre qui ne s’éteint pas, malgré l’énorme charge de travail que ça exige.

  5. Avatar de Lily Rause

    Très beau texte. J’aime bien l’ironie
    A bientôt

    1. Avatar de pierforest

      Merci Lily. Moi aussi j’aime l’ironie. 😉

  6. Avatar de laurence délis

    Idem que Lily, le récit prend toute sa valeur dans l’ironie distillée à la fin du texte. 🙂
    Bravo !

    1. Avatar de pierforest

      Heureux que ça t’ait plu Laurence.

  7. Avatar de manuraanana

    Plus que l’authenticité du terroire, c’est une fable moderne sur les enjeux ancestrales. Cupidité et méfiance face à l’amour et au respect de la terre qui le trésor que bien souvent on méprise.

    1. Avatar de pierforest

      Oui, Manu, c’est tout à fait cela.

  8. Avatar de Leiloona

    Ah j’aime beaucoup cette histoire qui ressemble à un conte ou à une parabole des temps modernes ! Et tu l’as fait avec talent car je me suis vraiment projetée dans cette histoire !

    1. Avatar de pierforest

      J’aime bien, Leiloona, ta comparaison avec une parabole des temps modernes. Merci!

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