Sans capitaine

Publié: 3 février, 2024 dans Écriture, psychologie
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Pour l’atelier d’écriture d’Alexandra K, en s’inspirant d’une photo, écrire un court texte, juste pour le plaisir d’écrire.

@Alexandra K.

Jeffrey Cummins, les mains menottés à la table d’échange était assis face au psychiatre du pénitencier à sécurité maximum d’Atmore en Alabama pour sa rencontre hebdomadaire avec le Docteur Oxford.

– Je fais toujours le même rêve Doc. Je suis là, sur la plage où j’ai mis mon voilier en mer et je le vois qui part à la dérive au loin, balloté par les vagues avec des dizaines d’autres voiliers laissés eux-aussi sans capitaine et je ne ressens rien du tout, pas même un peu de regret.

– Pourquoi du regret?

– Ben, parce que la voile a toujours été un des seuls plaisirs que j’ai vraiment eu dans la vie, celui qui me fait ressentir ce bouillonnement au creux du ventre, quand je survole les vagues, bousculé par le vent, l’écume au visage avec cette impression de liberté d’affronter l’immensité et la puissance de l’océan qui pourrait me broyer d’une seule main. Je n’aurais jamais laissé mon voilier comme ça à la merci de la mer, du moins pas sans rien ressentir et là, je suis sur la plage et je le regarde s’en aller avec indifférence.

– Oui, je vois, c’est troublant en effet. Décrivez-moi un peu la plage sur laquelle vous vous tenez dans ce rêve.

– Heu, d’accord, attendez…Je suis là, on est à marée basse et il y a un vieux tracteur sur une plage que je crois reconnaitre dans mon rêve, sans vraiment la connaître dans la réalité. Le tracteur ressemble à celui qu’avait mon père sur la ferme quand j’étais gamin. Arrimé au tracteur, il y a une remorque maintenant vide, parce que mon voilier a été mis en mer et qu’il s’éloigne parmi les autres voiliers laissés eux-aussi sans capitaine.

– Il y a beaucoup d’autres voiliers?

– Oui, il y en a des dizaines, tous voguant sans gouvernail, sans capitaine. Je ne comprends pas pourquoi on les a libérés, mais qu’on les laisse ainsi sans capitaine.

– Libéré?

– Oui, enfin, ils sont libres d’aller où ils veulent, mais sans capitaine, un voilier va immanquablement à sa perte. Il va rapidement couler et être englouti par la mer.

-Je vois. Et vous dites que ce tracteur ressemble à celui qu’avait votre père, c’est bien ça?

– Oui, il ressemble beaucoup à celui de mon père, sauf que dans mon rêve il est orange alors que celui de mon père était rouge.

– Pourrait-on dire qu’il est à peu près de la couleur de votre tenue actuelle?

Baissant le regard sur sa tenue prisonnier, Jeffrey le relève ensuite en faisant oui de la tête.

– Qu’est-ce qui vous a mené ici, Jeffrey?

– Toutes ces personnes qui ne méritaient pas de vivre et qui m’avaient fait du mal à moi ou à ma famille. Je sais, dans un sens, que ce que j’ai fait est mal également, mais je vous garantie docteur, que la terre se porte mieux sans ces individus malfaisants.

– Diriez-vous que vous avez libéré la terre de leur présence?

– Oui, Doc, on peut dire cela.

– Et qu’avez-vous ressenti en commettant ces gestes?

– Ben, c’est un peu étrange à dire, Doc, mais j’ai ressenti ce même bouillonnement au creux du ventre, à peu près le même plaisir que lorsque je fais de la voile.

commentaires
  1. Antigone dit :

    Un bien drôle de rêve, mais c’est le propre des rêves d’être étranges ! 😉

    • pierforest dit :

      Oui, vraiment Antigone. Pour ma part, je me souviens très souvent de mes rêves à mon réveil et ce qui semble normal dans le rêve, ne fait souvent aucun sens dans la réalité. Merci de ta visite.

    • Anonyme dit :

      Arghh, mais c’est épouvantable d’entrer dans la tête d’un tueur en série !
      Ça ne doit pas être facile tous les jours d’être psychiatre et d’explorer les méandres d’une pensée tordue, malade.
      Évidemment je m’interroge sur le rôle du père dans la genèse d’un assassin…
      J’en frissonne encore…

      • pierforest dit :

        Le père, la mère, l’entourage, l’environnement et aussi probablement une prédisposition génétique faisant en sorte que ces individus doivent vivre des situations extrêmes pour ressentir quelque chose. On dit que les psychopathes ne tuent pas tous avec une arme à la main. Il y a des dirigeants qui ont une absence totale d’empathie, des pervers narcissiques qui vont prendre plaisir à voir les autres souffrir. Il y en a même qui vont aller jusqu’à se porter candidat à la Présidence Américaine. 🙂

  2. Quel texte original avec cette photo comme départ !

    • pierforest dit :

      Merci Marinade, on ne sait jamais où notre imagination va nous porter. J’aime bien quand Alexandra met la photo tôt en semaine, ça nous laisse le temps de mijoter cela. Bonne journée!

  3. Intéressant comme texte, sur les rêves, toujours étranges, mais qui veulent souvent dire quelque chose – il faut souvent un regard, une écoute extérieure toutefois pour qu’ils fassent sens.
    Merci Pierre et belle semaine !

    • pierforest dit :

      Je suis entièrement d’accord Marie. Les rêves, nous rappellent ce qui nous préoccupe, ce que nous vivons et ça se fait en assemblant des images éparses de notre quotidien pour nous raconter une histoire. C’est une sorte de métaphore, ou un poème d’images qui peut, quand on sait lire entre les lignes, nous aider à mieux se comprendre. Belle semaine à toi aussi.

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