Archives de avril, 2010

Ayant récemment eu du sang quatre jours de suite dans mes selles, je me suis inquiété et j’ai communiqué avec mon médecin de famille (eh oui, j’en ai un. Chanceux!).

Elle m’a dit que je devrais aller voir un gastroentérologue, m’a signé un papier et m’a donné un numéro de téléphone.

J’ai ensuite tenté de joindre le bureau en question, tombant immanquablement sur une boîte vocale où on me disait: « Veuillez nous laisser vos coordonnées, la nature du problème et nous vous rappellerons selon les priorités. Le temps d’attente est de 3 mois à 2 ans ».

2 ans!!!!!! Ça m’a fait rigolé. C’est complètement ridicule d’attendre 2 ans pour avoir un rendez-vous avec un spécialiste. Ça m’a fait penser à l’Ex-URSS où les gens devaient faire la file à la porte des épiceries dans l’espoir d’y trouver quelque chose ou attendre 2 ou 3 ans pour recevoir leur voiture une fois qu’elle a été commandée. On rejette le système à deux vitesses, privé et public, de crainte que ça crée deux classes de citoyens. On se contente alors d’un système où tout le monde est égal, ce qui veut dire « mal servi », dans bien des cas.  Le client est bien traité dans le système de santé, le seul problème, c’est que le client n’est pas le citoyen, mais plutôt le Gouvernement.

On dépense des sommes folles et il semble qu’elles ne se rendent jamais jusqu’au premier niveau, là où les services sont donnés à la clientèle. Cet argent s’évapore quelque part, dans les structures d’un système obèse, ajoutant de plus en plus de chefs et de moins en moins d’indiens. Si la santé représente 30% des coûts du Gouvernement, ça signifie aussi que 30% des impôts que je paie servent au secteur de la santé. Comment se fait-il qu’on ait alors si peu de service pour tant d’argent?

J’ai finalement cherché une clinique privée sur internet. On était lundi. J’appelle, demandant à voir un gastroentérologue et pouvoir passer une coloscopie.

– « C’est $500 pour une coloscopie », me répond la dame. Ce montant ne peut être réclamé à l’Assurance-santé. Vous comprenez?

– Oui, je comprend.

– « Quand êtes-vous disponible? » me demande-t-elle?

– Dès que possible.

– J’ai de la place jeudi de cette semaine, est-ce que ça vous convient?

– Heuuu, (j’étais un peu pris au dépourvu), en fait non, j’ai un examen à l’université jeudi.

– Quel moment vous conviendrait mieux alors?

– N’importe quand la semaine prochaine.

– J’ai une place lundi à 13h avec le Dr. Szego, est-ce que ça vous convient?

– Oui, oui, tout à fait.

– Donnez-moi vos coordonnées et je vous enverrai par courriel la procédure concernant la préparation pour la coloscopie.

– D’accord.

– Est-ce que je peux faire autre chose pour vous?

– Non, c’est parfait.

– Si vous avez des questions, n’hésitez pas à communiquer avec moi.

Wow, ça c’est du service, me dis-je. J’ai finalement été passé le test lundi et j’ai eu mes résultats la journée même. Heureusement, rien de fâcheux, j’ai été rassuré, d’autant qu’il y avait un historique familial lié au cancer du colon. Ces $500 étaient en un seul montant. Pas de taxes ajoutées, pas de frais pour l’ouverture du dossier, stationnement inclus, de même que le jus et le muffin après l’examen. Dans la salle où j’ai enfilé la jaquette d’hôpital, on trouvait un casier pour y mettre les vêtements en sécurité, avec une clé que l’on pouvait porter au poignet. Plus convivial que le sac de poubelle jaune qu’on m’avait offert à l’hôpital la dernière fois et que j’avais dû amener avec moi.

La différence fondamentale, c’est de savoir qui est le client. Quand je vais au privé, je suis clairement le client. On prend soin de moi, puisque c’est moi qui paie. Au public, le client, c’est d’abord le Gouvernement. On fait alors les efforts pour répondre à ses demandes, quitte à sacrifier la qualité des services sur le terrain et à laisser les répondants de première ligne avec peu de ressource et leur demander de faire avec.

Marcher, c’est permettre à l’esprit de s’envoler.

La semaine dernière, j’ai dû changer mes bottes de marche qui avaient déjà plus de 1000 km  au compteur. Les semelles de  mes Vasques  étaient vraiment trop usées. Par chance, j’ai trouvé le même modèle en spécial chez Sail à 50% moins cher que celles achetées en 2006.

J’aime beaucoup marcher. J’ai découvert le plaisir de la marche assez tardivement. J’y ai pris goût en Espagne, sur le Chemin de Compostelle, alors que j’y étais surtout pour passer du temps avec ma mère. Marcher côte à côte pendant des centaines de kilomètre est une belle façon de resserrer les liens, en autant, bien sûr, que l’on marche au même rythme, sinon, çà peut provoquer des frictions.

Je me souviens d’un couple qui marchait à des rythmes différents. Ils se disaient au revoir le matin et se retrouvaient au gîte plus tard, en fin de journée. Une belle façon de respecter le rythme de l’autre. Marcher à un rythme qui n’est pas le nôtre, c’est à coup sûr se retrouver avec des ampoules aux pieds. Il faut donc connaître son propre rythme et apprendre à le respecter, à se respecter.

Ah que voilà une belle métaphore de la vie également.

Pour ce qui est de la marche en solitaire, le la compare à une forme de méditation. Elle ne requiert pas la concentration du jogging ou d’un sport intense, mais occupe le corps juste assez pour laisser l’esprit vagabonder.  Le risque de se blesser est minimal et on a le temps de savourer ce qui nous entoure, le paysage, les bruits, les odeurs. Je marche par plaisir et plus je pratique cette activité près de la nature, plus le plaisir est grand.

J’aime beaucoup sortir au petit matin pour ma marche matinale.

J’assiste au lever du soleil, au réveil de la vie qui se met progressivement en branle, aux bruits familiers qui apparaissent les uns après les autres.

Le weekend, j’aime étirer un peu plus le moment en allant marcher le long du canal de Chambly. J’aime entendre le bruit des chutes au loin. C’est à la fois bruyant et silencieux. C’est le silence de l’homme surtout qui marque sa présence. Un peu plus loin, je passe devant un cimetière, bordé de champs et d’une forêt, plus loin. Ce matin, une corneille m’appelait de son cri rauque.

Perchée sur une pierre tombale au pied de laquelle avaient été déposée un bouquet de fleurs fraîches, elle me criait « viens par ici, viens par ici ». Je me suis d’abord arrêté, puis je me suis approché. Me voyant venir, la corneille s’est envolée jusqu’à une branche d’arbre, plus haut, continuant à crier, mais je n’écoutais plus ce qu’elle disait. Sur la pierre, on pouvait lire « Françoise 1915 – 2006 ». Pas mal, me suis-je dit. À l’université, plus de 90, c’est un A+, alors bravo Françoise. J’ai poursuivi mon exploration un peu plus loin et progressivement, j’ai été envahi d’une sorte de mélancolie. Sur une pierre, on pouvait lire Marcel, époux de Thérèse 1932-1965. C’est jeune pour mourir. Sur la même pierre, on lisait Claude 1949-1950 et Simone 1956-1965. Beaucoup de douleur pour Thérèse, ai-je pensé. Elle a perdu son mari et deux enfants en bas âge.

La plus grande douleur de la perte d’un être cher, me suis-je dit, c’est la perte de ce qui n’aura pas été. Partie à 9 ans, Simone n’aura été qu’une enfant. Elle n’aura pas connu l’amour, la vie de couple, elle n’aura pas fondé sa propre famille, sa vie aura été trop courte, ces futurs possibles se sont évaporés à sa mort. Un peu plus loin, je vois la pierre tombale d’une petite voisine, décédée à 5 ans en 1996. C’était l’amie de ma fille qui avait le même âge à l’époque. Ma fille est devenue une belle jeune femme de 18 ans maintenant. Probablement que ma voisine doit penser souvent à cet enfant qu’elle a perdu. Voyant ma fille passer devant chez elle, peut-être se dit-elle que la sienne, sa fille, aurait aussi été une belle grande fille, mais tout cela, ne demeurera qu’un rêve inachevé. Ce futur n’aura pas été.

J’ai repris ma marche alors que le soleil m’éclaboussait le visage et j’ai fermé les yeux quelques secondes, pour savourer l’instant. J’ai alors entendu une outarde passer en criant furieusement. J’ai ouvert les yeux. Elle volait toute seule. Son cri semblait empreint d’anxiété. Elle avait sans doute perdu sa bande et cherchait à la retrouver. Je le lui souhaite.

Et puis, j’ai repensé à ces futurs qui n’auront pas été et qui accompagnent nos vies. On les porte en soi, comme autant de bagages durant notre voyage terrestre, comme s’ils pouvaient être témoins de ce qui est, de ce qui se crée à chaque instant qui nous est donné. Et je me suis dit: « Est-ce que je réalise pleinement la chance qui m’est donné d’être ici, aujourd’hui ».

Pas facile d’apprécier la vie quand on souffre.

Que ce soit physiquement ou psychologiquement, la souffrance draine beaucoup d’énergie et prive la personne des moments de sérénité nécessaires à l’émergence du bonheur.

Pour plusieurs, la médication devient alors un moyen d’avoir ces répits, ces pauses pour reprendre un peu son souffle et dans ces moments, la simple absence de souffrance devient une forme de bonheur.

Pour d’autres, c’est la méditation ou la pratique d’une activité physique intense qui arrive à libérer ces moments de vide qui peuvent ensuite être remplis ou laissé vide, selon ce dont on a besoin.

Lâcher prise, c’est cesser de s’accrocher. Ça peut paraitre facile, à prime abord, parce qu’on se dit: « Il suffit de ne plus se battre ».  Mais derrière le lâcher prise, il y a aussi la peur, l’insécurité, le risque que le changement n’apporte pas le bien espéré. Il y a donc un terrible combat dans le lâcher-prise, soit celui d’accepter le changement sans savoir de quoi il sera fait. C’est un combat contre soi-même, c’est surtout un combat contre cette habitude, pour certains, de vouloir tout contrôler.  Derrière le refus de lâcher prise, il y a aussi un être fragile qui ne veut pas souffrir, mais se faisant, il se prive d’un bonheur plus grand.

Les fleurs n’apparaissent pas spontanément, à moins de les acheter en pot et de les transplanter dans son jardin.

Nous vivons dans une société du résultat instantané. On veut tout, tout de suite. La carte de crédit en est un exemple éloquent. Elle permet d’acheter maintenant un truc, même si on n’a pas encore les moyens de se le payer. »Acheter maintenant, payez plus tard ». C’est la notion du tout de suite qui compte. Or, cette approche va complètement à l’encontre des lois naturelles. Darwin a bien tenté la théorie de la génération spontanée, mais elle n’a pas tenue la route bien longtemps. Les fleurs sont d’abord plantées en terre et par petits changements minuscules, elles progressent, grandissent, franchissent le niveau du sol et s’élèvent vers le ciel en brandissant leurs couleurs.

Vendredi dernier, en zappant, je suis tombé sur l’émission Big Brother où Anne-Marie Losique était invitée. J’ai eu un choc en la voyant. Elle semble avoir été refaite en entier, botoxée, gonflée et remontée. On la reconnaissait à peine, elle semblait même porter un masque. Encore une fois, on assiste à un rejet du changement progressif. Elle a sans doute voulu redevenir « tout-de-suite », celle qu’elle était autrefois, sans vraiment y parvenir finalement, puisque le résultat est assez douteux.

Ne pas accepter de vieillir est presque normal, je dirais. Quand on voit les rides apparaître, les cheveux grisonner, quand les kilos s’additionnent, on se retrouve parfois avec une image de soi qui ne cadre plus avec celle que l’on a en tête et ça donne envie de changer les choses. Ici, en fait, il y a deux éléments. D’une part, il y a la notion du changement brusque et instantané qui est généralement nocif pour le corps et il y a la notion d’acceptation de l’ordre naturel des choses.

En janvier dernier, après avoir constaté que j’avais 5 livres de plus que mon poids habituel, j’ai eu envie de changer les choses. Depuis 3 mois, je marche donc de 4 à 5 km, à tous les matins, en me levant, suivi d’une session de push-up et de redressements et progressivement mon corps s’est transformé, sans efforts intenses. Je monte également les 10 étages à tous les matins au travail. Progressivement, voilà le mot qui décrit bien les choses. Je ne pense plus « transformation », mais « plaisir ». J’ai du plaisir à marcher à tous les matins et passant devant le miroir ce matin, je me suis dit « Ah ben tiens, j’ai changé! ». Je me souviens d’un ami qui voulait se remettre en forme et qui s’est mis à un entraînement si intensif qu’on aurait cru qu’il voulait entrer sans les Marines. Il s’est finalement blessé et a cessé son entraînement. Un collègue, au travail, a aussi voulu utiliser l’escalier, mais il le faisait 3 fois par jour, en montant et en descendant. C’est finalement devenu tellement exigeant qu’il a abandonné.

« Progressivement »,  est la méthode qui me paraît la plus efficace et plus conforme à notre univers. La génération du tout-tout-de-suite va surtout à l’encontre de la pérennité. Ça ne dure pas. Quand on fait les choses progressivement, on leur donne le temps de vraiment prendre racine.

Une fleur qui a poussé lentement, fera face au vent avec beaucoup plus d’aplomb qu’une fleur en pot transplantée dans un jardin. Comme le disait Danny Laferrière, à Haïti, les bâtiments sont tombés, mais les fleurs sont restées debout.