Atelier d’écriture: Une photo quelques mots
Principe: Une photo qui sert de base pour un texte. Ni genre, ni ton imposés. Seul le plaisir d’écrire. Encore et toujours.
Site: Bricabook
Photo:Marion Pluss
Qu’est-ce que vous voyez? demanda le Dr Gilbert, en lui présentant la photo d’un échiquier.
Je vois un plateau blanc couvert de taches noires, répondit Paul. Voilà comment il voyait sa vie, toute blanche et pure à l’origine, puis la malchance, le malheur, les coïncidences, les mauvais choix avaient progressivement barbouillé celle-ci de vilaines taches qui la rendaient moins attrayante.
Et pourquoi pas un plateau noir couvert de cases blanches lui demanda le Docteur?
Paul observa l’échiquier un moment, réfléchit puis s’exclama avec convictions: Non, il s’agit vraiment d’un tableau blanc. Je n’arrive pas à imaginer le tableau complètement noir.
Il y a donc de l’espoir?
Hmmm…enfin, oui, je suppose, mais je pensais surtout à un tableau noir à l’origine. Même si on ne nait pas tous égaux, le tableau est toujours assez rose, enfin blanc, au départ, du moins, en autant qu’on ait une mère présente.
Et votre mère, elle était comment?
Elle était toute petite. Petite, mais forte. De caractère bien sûr, mais aussi dans son corps. Elle abattait un boulot considérable, quand j’y pense aujourd’hui. Elle se démenait corps et âme pour nous nourrir mon frère et moi.
Votre frère?
Oui. Mon jeune frère…Je ne l’ai pas revu depuis des années…On ne se parle plus.
Ça vous manque?
Non, pas vraiment. J’aimais la complicité qu’on avait tous les deux ,enfants, avant que la passion des femmes ne nous mettent en conflit l’un et l’autre. Il plaisait aux femmes, mon frère Jean, mais son plus grand défi était toujours de séduire celle qui m’accompagnait. À la fin, on en est venu aux coups, puis, on a cessé de se parler. Je ne lui ai pas reparlé depuis le jour où j’ai quitté la maison.
Vous voyez toujours votre mère?
Non, pas vraiment. En fait, je n’ai pas tout à fait quitté la maison de mon plein gré. Disons qu’elle m’y a un peu aidé.
Elle vous a jeté dehors?
On peut dire cela. J’avais mis mon frère dans un sale état après qu’il eut fait de l’oeil à ma copine Marguerite et ma mère n’avait pas du tout aimé que je lui arrange un peu le portrait. Il faut dire que mon frère était son préféré, alors, forcément, j’avais toujours tort. Elle me disait que j’étais jaloux maladif, que j’étais incapable de me contrôler et que c’est pour cela que les femmes préféraient Jean. Alors, le lendemain de cette fameuse bagarre, quand je suis revenu à la maison, les serrures avaient été remplacées et mes valises étaient empilées à l’entrée. Pas besoin d’un dessin, j’avais compris.
Et qu’avez-vous fait?
Je suis allé frapper à la porte de Marguerite…mais Jean était là, alors ça s’est mal passé.
Vous l’avez battu?
Juste un peu à l’oeil gauche. Ses pires blessures dataient de la veille.
Et vous vous êtes senti comment?
J’étais encore en colère contre lui, mais aussi contre Marguerite qui m’avait trahi, d’une certaine façon. Elle tenait Jean dans ses bras et me criait des trucs du genre salaud et tout et tout, alors j’ai eu envie de la battre un peu elle aussi.
Et vous l’avez fait?
Non. J’avais déjà du sang sur les mains et je n’aurais pas voulu tacher sa jolie robe blanche.
C’est la robe qui vous importait?
Oui, je déteste les taches sur une surface blanche et pure.
Et les échecs vous aimez?
Vous moquez pas de moi Doc ou je vous colle une baffe.