Archives de février, 2024

Sasha 1er

Publié: 10 février, 2024 dans Écriture, Société
Tags:

Pour l’atelier d’écriture d’Alexandra K, en s’inspirant d’une photo, écrire un court texte, juste pour le plaisir d’écrire.

@AK

Sasha était née en 1901 à Trnava en Slovaquie, une petite communauté très religieuse à 43 km au nord-est de Bratislava, la capitale. On surnommait cette ville « la Rome de la Slovaquie », notamment pour ses nombreuses églises à l’intérieur baroque.

Très tôt, Sasha avait senti l’appel de Dieu et priait avec ferveur plusieurs fois par jour pour le bien-être de tout ceux qu’elle connaissait et même pour ceux qu’elle ne connaissait pas. Les sermons du Curé l’impressionnaient particulièrement et parfois, seule dans sa chambre, elle s’imaginait guider les paroissiens de son village par ses paroles et sa profonde compréhension du message du Christ. On lui fit rapidement comprendre que ce rôle était réservé aux hommes, ce qui la déçue énormément, parce que, sans le dévoiler, elle s’était toujours sentie comme un garçon dans un corps de fille et bien qu’elle se conformait au code vestimentaire imposé par sa mère, elle aurait de beaucoup préféré porter le pantalon. Plus tard, au début de l’adolescence, n’arrivant pas à s’imaginer vivre maritalement, elle s’enrôla chez les Religieuses, à la grande joie de ses parents.

Quand la Slovaquie et la Tchéquie unirent leur destin en 1918, alors que tout séparait ces deux communautés, culturellement et politiquement, Sasha fit le parallèle avec son déchirement intérieur, soit être une seule entité, à la fois garçon dans sa tête et fille dans son corps. À 28 ans, mal dans sa peau et dans sa tête, elle quitta la vie religieuse, coupa ses cheveux et partie vivre incognito sous l’apparence d’un homme.

Après quelques années d’errance, mais toujours animée par une foi profonde et un désir irrépressible d’aider son prochain, elle s’enrôla au séminaire de Spi, en tant qu’homme, dans un parcours la menant à la prêtrise, sans pour autant dévoiler son genre. Son prénom neutre et sa poitrine plate l’aidèrent heureusement à maintenir son secret.

Sasha eut une brillante carrière dans les ordres, marquée par une grande sagesse et sa capacité à amener les gens à s’impliquer et se préoccuper d’autrui. El 1961, âgé de 60 ans, Sasha fut nommé archevêque de Nitra, puis, quelques années plus tard, devint Cardinal de Slovaquie. Apprécié pour ses valeurs de tolérance, pour sa foi, son implication et sa capacité à faire revivre les valeurs propres au catholicisme, son nom circulait déjà depuis un certain temps, comme candidat susceptible d’être élu Pape.

Le 9 août 1980, la fumée blanche le confirma dans son nouveau rôle par une majorité écrasante. Quand on lui demanda de se choisir un nom, il considéra que le sien, neutre, était tout à fait approprié.

12 année plus tard, le 24 septembre 1992, âgée de 91 ans, à la surprise générale et à la consternation de l’Église, Sasha 1er dévoila publiquement son genre de naissance et formalisa légalement le changement, quelques mois à peine, avant que la Tchécoslovaquie ne mette fin à cette union de deux États qui avait été si mal consommée.

Sans capitaine

Publié: 3 février, 2024 dans Écriture, psychologie
Tags:,

Pour l’atelier d’écriture d’Alexandra K, en s’inspirant d’une photo, écrire un court texte, juste pour le plaisir d’écrire.

@Alexandra K.

Jeffrey Cummins, les mains menottés à la table d’échange était assis face au psychiatre du pénitencier à sécurité maximum d’Atmore en Alabama pour sa rencontre hebdomadaire avec le Docteur Oxford.

– Je fais toujours le même rêve Doc. Je suis là, sur la plage où j’ai mis mon voilier en mer et je le vois qui part à la dérive au loin, balloté par les vagues avec des dizaines d’autres voiliers laissés eux-aussi sans capitaine et je ne ressens rien du tout, pas même un peu de regret.

– Pourquoi du regret?

– Ben, parce que la voile a toujours été un des seuls plaisirs que j’ai vraiment eu dans la vie, celui qui me fait ressentir ce bouillonnement au creux du ventre, quand je survole les vagues, bousculé par le vent, l’écume au visage avec cette impression de liberté d’affronter l’immensité et la puissance de l’océan qui pourrait me broyer d’une seule main. Je n’aurais jamais laissé mon voilier comme ça à la merci de la mer, du moins pas sans rien ressentir et là, je suis sur la plage et je le regarde s’en aller avec indifférence.

– Oui, je vois, c’est troublant en effet. Décrivez-moi un peu la plage sur laquelle vous vous tenez dans ce rêve.

– Heu, d’accord, attendez…Je suis là, on est à marée basse et il y a un vieux tracteur sur une plage que je crois reconnaitre dans mon rêve, sans vraiment la connaître dans la réalité. Le tracteur ressemble à celui qu’avait mon père sur la ferme quand j’étais gamin. Arrimé au tracteur, il y a une remorque maintenant vide, parce que mon voilier a été mis en mer et qu’il s’éloigne parmi les autres voiliers laissés eux-aussi sans capitaine.

– Il y a beaucoup d’autres voiliers?

– Oui, il y en a des dizaines, tous voguant sans gouvernail, sans capitaine. Je ne comprends pas pourquoi on les a libérés, mais qu’on les laisse ainsi sans capitaine.

– Libéré?

– Oui, enfin, ils sont libres d’aller où ils veulent, mais sans capitaine, un voilier va immanquablement à sa perte. Il va rapidement couler et être englouti par la mer.

-Je vois. Et vous dites que ce tracteur ressemble à celui qu’avait votre père, c’est bien ça?

– Oui, il ressemble beaucoup à celui de mon père, sauf que dans mon rêve il est orange alors que celui de mon père était rouge.

– Pourrait-on dire qu’il est à peu près de la couleur de votre tenue actuelle?

Baissant le regard sur sa tenue prisonnier, Jeffrey le relève ensuite en faisant oui de la tête.

– Qu’est-ce qui vous a mené ici, Jeffrey?

– Toutes ces personnes qui ne méritaient pas de vivre et qui m’avaient fait du mal à moi ou à ma famille. Je sais, dans un sens, que ce que j’ai fait est mal également, mais je vous garantie docteur, que la terre se porte mieux sans ces individus malfaisants.

– Diriez-vous que vous avez libéré la terre de leur présence?

– Oui, Doc, on peut dire cela.

– Et qu’avez-vous ressenti en commettant ces gestes?

– Ben, c’est un peu étrange à dire, Doc, mais j’ai ressenti ce même bouillonnement au creux du ventre, à peu près le même plaisir que lorsque je fais de la voile.