Archives de mars, 2014

Nous deux

Publié: 29 mars, 2014 dans Écriture, Expérience nouvelle, plaisir

Atelier d’écriture de chez Mumu la Grenouille:

Consignes: Écrire une courte histoire avec les mots suivants:

Duel – couleur – début – masque – crime – flâner – enjoliver – perdre – conspirer – détourner

barMon esprit flânait ici et là, engourdi par l’alcool et la lumière tamisée, quand il fut alerté par le pas rythmé de souliers de femme venant vers nous.

Dans un bruissement vestimentaire, elle se glissa sur le tabouret de cuir rouge, juste à côté, sans nous jeter le moindre regard. Elle était consciente, bien sûr, que notre attention était maintenant tournée vers elle. Elle posa avec élégance la pointe de ses souliers noir à talon aiguille sur la frise métallique du tabouret.

Feignant l’indifférence, elle fouilla longuement dans son immense sac à main pour en sortir un porte-monnaie. Elle retourna ensuite la tête et jeta, avec désintérêt, un regard circulaire dans la pièce, nous ignorant au passage, pour bien clarifier la distribution des rôles. Je sentais clairement que le duel s’amorçait entre moi et l’autre.

La Barmaid se pencha vers sa cliente pour prendre sa commande. Elle se décida pour un Martini classique, avec olives et un zeste de citron. Attendant sa consommation, elle inspira longuement, relevant un peu les épaules, gonflant sa poitrine sous son chemisier blanc et expira bruyamment, simulant l’impatience. Elle avait annoncé ses couleurs et attendait maintenant qu’on entre en scène.

Elle jeta un coup d’œil rapide à notre double du miroir, derrière la barmaid, question d’évaluer un peu mieux ce qui était en jeu. Je portais un Jean’s marine de bonne marque, une chemise blanche ajustée dont j’avais retroussé les manches sur mes avant-bras. Le haut de ma chemise était judicieusement déboutonné, dévoilant juste ce qu’il faut de mon cou puissant. L’effet était calculé et prévisible. Elle croisa la jambe dans la direction opposée, se dévoilant un peu malgré elle, quand sa jupe noire remonta doucement sur sa cuisse.

Un début de négociation pris alors place entre moi et l’autre à savoir lequel d’entre nous ajusterait ses yeux derrière le masque. Ce n’est pas si facile de partager le même corps, d’autant que l’autre a une personnalité très différente de la mienne. Je suis l’amoureux, lui, c’est le prédateur, celui qui commet des crimes parfois atroces dont j’ai été témoin sans avoir pu intervenir. Il est, par ailleurs impensable de le dénoncer, puisqu’on l’enfermerait avec notre corps et du coup, moi aussi, même si je suis innocent. Je suis, à n’en point douter, beaucoup mieux que lui et je ne dis pas cela pour enjoliver ma position. Quand il s’installe aux commandes, je sais, pour avoir vu notre reflet dans le miroir que ses yeux brillent alors d’une démence inquiétante. C’est lui le fou, pas moi. Parfois, je l’entends conspirer avec des inconnus pour conserver seul la place que nous partageons, mais il y perdrait beaucoup au change. Sans moi, il finirait rapidement en prison ou sur la chaise électrique, comme papa, alors que je peux le détourner de ses pulsions meurtrières, en le gardant à l’écart, un temps. Je pense qu’il m’admire un peu, même s’il ne l’avouera jamais.

Je retournai notre visage vers elle, souriant, tout en engageant la conversation, mais ignorant encore si je l’aimerai ou s’il la tuera.

 Atelier d’écriture d’après photo, de  Skriban.

Consigne:  Écrire une histoire d’au plus 800 mots inspirée de l’image proposée:

AndrewWyeth

Comme l’image d’un vieux poste de télé se précisant lentement dès on l’allume, mes rêves s’estompent peu à peu et mes idées se remettent en place. J’ai le corps lourd, engourdi.  Je m’éveille gardant les yeux fermés. Le sol est piquant sous moi. J’entends le grésillement d’insectes entrecoupé de silences. Au loin, en sourdine, il y a  des chants d’oiseaux. Ma peau est moite.  Où suis-je? J’ouvre les yeux, me redressant brusquement, le cœur battant. Où suis-je? Qu’est-ce que je fais ici? Je me sens confuse, je n’y comprends rien. Je devrais pourtant être…dans mon lit. Oui, je devrais être dans mon lit. Je me souviens clairement m’être allongée sur mon lit dès mon retour du travail,  toute habillée, épuisée de ma journée. La peur me noue soudain l’estomac. Ai-je été droguée, enlevée? Je m’examine rapidement touchant mon corps. Je n’ai  pas de douleur, je n’ai pas été agressée, je suis intacte.  Je porte mon regard autour de moi et il n’y a que des champs à perte de vue. Non, là derrière, une maison, des édifices au loin, une ville peut-être. Je ne connais pas cet endroit. Comment ai-je atterri ici? Mon Dieu, ma tête tourne, j’ai peur. Je me lève et me mets en marche en direction de cette maison. Je progresse lentement, c’est piquant et je suis pieds nus. Serais-je devenue amnésique? Non, pourtant, je me souviens parfaitement de ma journée d’hier et des précédentes. Le soleil est bas, estompé sous une couche nuageuse diffuse. On doit être en fin de journée.  J’ai donc dormi très longtemps, pourtant je n’ai ni faim, ni soif. Oui en fait, j’ai soif maintenant.

En approchant la maison, je perçois du mouvement à gauche. Au fond de la cour arrière,  il y a un homme en salopette bleue, affairé à réparer son camion, la tête penchée sous le capot. Je m’approche.

***

Ce doit être les câbles de l’alternateur qui sont trop usés, je devrais penser à les remplacer, me dis-je, m’essuyant les mains contre ma salopette. Je me redressai, refermant le capot quand je vis une jolie jeune femme en robe rouge s’avancer vers moi pieds nus en titubant. On pouvait lire la détresse dans son regard. Bougre, elle semble mal en point.

– « Hé, ça va ma petite dame? » Lui lançais-je m’avançant à sa rencontre. Elle se mit à me parler très vite dans une langue que je ne comprenais pas, de l’espagnol ou de l’italien peut-être.

– « Ho, un instant. Parlez-vous français? ». Elle me regarda et se tut un instant, prenant la mesure de la situation et je vis  des larmes lui monter aux yeux. Elle se laissa choir à genou, les mains contre le visage. Lui prenant les épaules, je l’aidai à se relever en lui parlant doucement.

***

Je terminais la vaisselle, quand j’aperçu mon volage de mari tenir une jolie femme rousse par les épaules. « Ahhh, misère, il a recommencé! ». Ce vieux cochon a encore ramené une conquête à la maison. Je l’avais pourtant clairement avisé que s’il me refaisait encore le coup, ce serait la dernière fois de sa vie. Je vais lui régler son compte, une fois pour toute, à celui-là.

***

Je m’étais posé sur une branche, attiré par de magnifiques fruits rouges, quand j’entendis des cris d’homme plus bas. Ils étaient trois à se chamailler, et l’un d’entre eux, un peu à l’écart  était aussi rouge et magnifique que ces petits fruits. Tout ce rouge me donna envie de chanter et j’entonnai un cri de joie. Soudain, il y eu une terrible déflagration et je m’envolai à toute vitesse pour me réfugier plus loin sur le toit de l’édifice, alerte et l’œil inquiet, près à décoller à la moindre menace. En bas, deux d’entre eux se tenaient debout, à côté du troisième, couché par terre, bleu et couvert de taches rouges. Décidément, c’est la journée du rouge, me dis-je, m’envolant au loin vers les champs.

vascoDeGamaAtelier d’écriture du site d’Olivia Billington.

Consigne: Écrire une courte histoire avec les mots suivants:

élégance – prestance – raffinement – cruauté – barbarie – orgue – cathédrale – gargouille – gouttière – pluie – mousson – alizés –moiteur – douce – laine.

Débuter par la lettre A et terminer par la lettre Z.

Après vingt longues semaines en mer, mon corps s’est progressivement adapté aux mouvements constants du navire. Je n’ai plus la nausée comme aux premiers jours et mes maux de tête ont disparus. Je ne souffre plus. J’ai perdu du poids et mes muscles sont plus saillants.

Tous ces travaux sur le pont, si exigeants au départ, sont devenus pour moi la simple routine. Je me suis endurci, je suis plus fort, physiquement et mentalement. Cette armure musculaire en double-peau et ces épreuves ont modifié mon maintien et ma démarche. Je roule des épaules et je marche plus lentement, étirant mes pas. Quand on m’adresse la parole, je me retourne, je fais face et je regarde droit dans les yeux. Même le Capitaine. Je pense avoir gagné une certaine élégance, une prestance que je n’avais pas au départ de Lisbonne.

Vingt semaines d’aventure au bord du précipice, avec un équipage strictement masculin ça vous change un homme. Et sans présence féminine à bord, on met rapidement au rancart la bonté, la gentillesse et ces raffinements qui nous rappellent notre mère, pour tenir son rang dans la meute. J’ai hâte de mettre à nouveau pied à terre. Me réhabituer à ce sol lourd, compact et profond, à un horizon qui reste là, à hauteur des yeux. Selon le Capitaine, on sera à Port l’Espérance avant la fin de la journée, pour une escale d’une semaine, le temps de réparer les avaries et recruter de nouveaux hommes pour remplacer ceux qu’on a perdus durant la tempête. Au moins 10 hommes manquent à l’appel. Ce fut terrifiant.

Ce point en mer, où se rencontrent l’alizé du nord-est et celui du sud-ouest est infernal. J’ai cru mon heure venue. Le ciel s’est soudainement obscurci, comme la tombée du rideau annonçant la fin. Les vents se sont mis à souffler violemment et à crier la mort subite en tourbillonnant autour de nous. Au plus fort de la tempête, j’ai même cru voir une gargouille installée en haut du mat, se moquant de nous avec cruauté. La mer et la pluie nous crachaient en plein visage et le navire était secoué de toutes parts par des vagues gigantesques. J’ai vu de mes yeux, des matelots qu’une main liquide de hauteur d’homme est venue saisir à plein corps pour les engloutir dans ce cimetière marin. Par ce passage, au large, on gagne un temps précieux de navigation en évitant les eaux calmes, mais on y perd aussi beaucoup, soit son âme, soit son innocence, soit la vie.

Selon le capitaine, quand on franchit la pointe sud de l’Afrique, on change aussi d’univers. Le climat est plus humide, le soleil plus intense, la moiteur s’installe et même la mousson qui nous pousse à l’est n’assèche jamais entièrement nos vêtements de corps. Plus personne ne porte son bonnet de laine. Les vagues sont plus régulières, plus douces également. C’est le repos du guerrier, s’il a survécu au passage à l’est. On naviguera jusqu’au pays du Prêtre Jean pour admirer ces rivières de pierres précieuses et ces cathédrales érigées si hautes qu’elles masquent l’horizon. Ces cathédrales immenses au sommet desquelles, dit-on, on retrouve des anges sculptés d’or pur dont les flûtes laissent couler des flots argentés alimentés par les gouttières. Un monde de paix, de calme tellement loin de la barbarie coutumière des hommes et des sentiments qui m’animent aujourd’hui. On dit qu’en approchant le pays du Prêtre Jean, avant même de voir terre, on entend au loin la musique des orgues de la grande cathédrale qui nous guident à bon port, comme des sirènes nous chantant: Venez marins, venez, venez.

TangoAtelier d’écriture de Ghislaine.

Consigne: Écrire une courte histoire comportant les mots suivants:

Bourgeoise, bagatelle, braise, bretelle, envie, dénuder, lever, coller, aimer, danser

Dès le début, elle me parue un peu bourgeoise. Nous étions à table, côte à côte depuis près d’un heure, pour cette soirée de financement organisée par le Maire. Il m’apparaissait clairement qu’elle et moi n’étions pas du même univers. Son port de tête, ce menton volontaire niché au sommet d’un cou interminable, ses gestes précis et assurés, sa façon de rire sans débordement en plaçant la main devant sa bouche, le pincement de ses lèvres quand un convive exprimait une opinion qui excédait la plus élémentaire neutralité, tout cela était pour moi la marque certaine de la bourgeoisie.

Sa contribution à la campagne du Maire pour vaincre le cancer représentait probablement plusieurs fois la valeur monétaire de la mienne. Pour elle, c’était sans doute une bagatelle, un simple devoir social, mais c’était pour moi d’une importance capitale, une cause qui réveillait la peur en moi et suscitait une proximité émotive naturelle.

Curieusement, toutefois, son parfum détonnait avec le personnage, laissant entrevoir, sous ces apparats, une toute autre personnalité, plus frivole, rebelle même, mais réprimée et enfermée dans ces codes et conventions. J’eu soudain à l’esprit l’image d’un cheval noir, superbe, harnaché et bien dressé, mais dont l’œil brille encore d’une étincelle de braise. Un être sauvage emprisonné qui n’attend que l’occasion de s’enfuir et galoper, galoper follement dans les champs jusqu’à ce que son corps ruisselle de plaisir, le souffle court, son cœur battant les tambours d’une liberté retrouvée.

J’eu tout à coup terriblement envie d’approcher mon visage de son cou dénudé, pour m’imprégner des effluves de ce parfum illicite et libérateur, mais je voyais mal comment m’y prendre sans qu’elle se sente brusquée. Elle tourna la tête et croisa mon regard. Je fut pris au dépourvu, comme si elle avait lu mes pensées et je senti la chaleur me monter au visage, ce qui visiblement, ne lui échappa pas. Elle me sourit poliment avec un petit signe de tête, me scanna de haut en bas avant de replonger ses yeux dans les miens, juste un peu trop longtemps et reporter son attention sur le Maire qui débitait son discours au micro.

Le discours terminé, l’orchestre entonna un tango argentin, sous les applaudissements satisfaits des convives. Quelques couples s’avançaient déjà sur la piste. Je me levai et pris position, le corps légèrement incliné et la main droite ouverte, tendue en direction de ma partenaire de table, l’invitant sans un mot à venir danser. Elle tourna la tête à moitié, me fit un petit sourire, hésita un instant, puis posa sa main dans la mienne tout en se levant.

J’aime le tango argentin. C’est une danse magnifique, libératrice, impudique, une communion intime et hors du temps entre deux êtres qui parfois se connaissent à peine.Typiquement, les mouvements sont improvisés, sans pas prédéterminés, laissant toute la place à l’imagination du meneur qui, selon son habileté, les adapte à la morphologie des corps en présence et à l’énergie qui circule entre eux. Sa partenaire se laisse simplement porter par le mouvement et c’est sa capacité à s’abandonner qui libère une troublante harmonie de sensualité.

Je la laissai au centre de la piste et continuai de quelques pas avant de me retourner brusquement, le regard déterminé, revenant vers elle le corps très droit, glissant le pas, la tête légèrement inclinée vers l’avant. Je lui présentai ma main gauche tout en m’approchant doucement vers elle et collai son corps contre le mien d’une main droite assurée. J’entamai lentement le pas, variant progressivement les mouvements et jouant du rythme selon l’espace disponible et l’inspiration du moment. Ce fut magique. Rapidement, elle se prit au jeu et devint même audacieuse, en transe, totalement plongée dans l’instant présent. Son parfum virevoltait autour de nous, semant le désir dans les yeux des autres mâles et la jalousie parmi les femmes. Sur la dernière note, elle pencha la tête loin en arrière, sans réaliser que sa bretelle avait glissé sur son épaule, découvrant légèrement sa poitrine. Se relevant, les cheveux ébouriffés, magnifique, je vis dans ses yeux cette étincelle de braise, je vis ce corps ruisselant de plaisir qui dorénavant refuserait à jamais d’être harnaché pour la galerie. La bête était libre.

Atelier d’écriture No.45 de Ghislaine.

Consignes:

Publier avant jeudi, une histoire comportant les 10 mots suivants:

Marche, explication, loquace, couvrir, suspendre, efficace, entaille, délivrance, pareil, sordide.

Quelle ironie! Par cette Marche funèbre, Chopin a réuni ceux que tout oppose: John F. Kennedy, Léonid Brejnev, Yasser Arafat et Marie-Jeanne Latulipe. Ma belle-mère. L’explication étant que ce troisième mouvement de la Sonate pour piano No.2 fut entendu aux funérailles de ces célèbres personnages et que c’était également une exigence testamentaire de Marie-Jeanne, par ailleurs apolitique, anonyme et peu loquace. Que se cachait donc derrière cette requête d’outre-tombe? Cherchait-elle à dévoiler un pan entier de sa vie dont la platitude ne visait qu’à couvrir des activités secrètes, occultes ou illicites? La question demeure pertinente, mais il vaudrait mieux suspendre mon jugement jusqu’à la fin des obsèques, par respect pour mon ex. Pour elle, ce qui compte, c’est d’être efficace et suivre à la lettre chacune des exigences laissées par sa mère. Au fond je la comprends parfaitement. Elle préfère concentrer son attention sur ces détails procéduraux, adopter un comportement pareil à celui d’un fonctionnaire qui ne s’interroge jamais sur la pertinence des gestes qu’il pose, car les vraies questions sont parfois douloureuses. À preuve, on associe plus aisément ces entailles profondes aux poignets de Marie-Jeanne à la délivrance volontaire d’une vie sans couleur plutôt qu’au un meurtre sordide d’un agent dormant, infiltré parfaitement et n’attendant que le signal pour dévoiler violemment son arsenal.

Un petit plaisir, inspiré du blogue de d’Olivia Billington. Est-ce un nom d’artiste, d’ailleurs, c’est fort possible.

L’objectif est d’écrire une petite histoire qui doit contenir tous les mots proposés par les uns et les autres.

Voici les mots:

hésiter – incertitude – énigme – interroger – épreuve – sportif – doper – tricher – punir – injustifié – loi – attraction – terrien – aérien – météo

Consigne facultative : commencer le texte par « regardez-le »

Regardez-le, cet imbécile, assis là depuis vingt minutes à regarder sa page blanche. Il semble incapable de trouver une idée qui se tienne. D’autres se lanceraient sans hésiter, mais lui, accablé de doutes s’en croit incapable. Archh, je vais le laisser à ses incertitudes et me commander un café. Ce sera plus agréable que de le voir souffrir ainsi. D’ailleurs, parlant plaisir, elle est pas mal, la petite dernière embauchée récemment. Elle serait jolie même sans maquillage, j’en suis persuadé. Ses cheveux, légèrement décolorés et cette mèche mauve tressée à l’indienne, c’est original et très esthétique. Il y a pourtant une énigme dans son regard. Elle rit des dents, mais pas des yeux, comme si elle cachait un terrible secret. On aurait beau l’interroger, la torturer même, je doute qu’elle en dise plus. C’est comme ça, avec les secrets honteux. Ils sont trop profondément ancrés pour qu’on les déterre à la petite pelle. Je l’ai bien observée, derrière son comptoir. Elle est polie, rapide, efficace. Le patron doit bien l’apprécier. La regarder slalomer habilement entre les tables, parfois de face, parfois de côté, sans jamais renverser une goutte de café est diablement impressionnant. On se croirait aux épreuves de Sotchi, même si à dire vrai, les sportifs ici sont peu nombreux. Pour la plupart, la seule activité consiste à tourner les pages du journal ou porter la tasse à leurs lèvres. Il faudrait peut-être ajouter un petit quelque chose dans leur café, question de doper un peu leurs performances, parce que visiblement, la caféine, c’est insuffisant. Bof, je m’emmerde ici, faut le dire. Et le temps qui s’écoule trop lentement et ce mal de tête qui me laisse un trou béant, un coeur qui bat contre la tempe. Un simple courant d’air soulève un tourbillons de neurones en douleur. J’ai beau faire semblant que tout va bien, je ne peux pas vraiment tricher. Pas à mon âge. Passé la cinquantaine, il y a des plis qui ne déplient plus et de nouveaux qui naissent chaque jour. Ce sont les plaques tectoniques du temps qui créent ces chaînes de montagnes et ces creux dermiques. Ce n’est pas pour me punir pourtant, parce que j’ai fait une bonne vie. C’est carrément injustifié et ça me laisse en colère. Et ça augmente mon mal de tête. Allez savoir. Est-ce la loi de l’attraction ou celle de l’équilibre, difficile à dire. Dans un cas, on attire ce que l’on cherche, dans l’autre c’est la malchance qui s’installe un temps, parce qu’on ne peut toujours gagner. C’est comme ça. Sur une autre planète ce serait peut-être différent, mais je dois me faire à l’idée. Je suis terrien après tout. Plutôt terre à terre d’ailleurs. Trop peut-être. Ça me serait sans doute agréable de quitter un peu le sol, être plus léger, aérien, laisser mon esprit divaguer, porté par le vent, voguer au-dessus des nuages, plus près du soleil, sans avoir à tenir compte des bulletins météo, mais j’ai beau rêver de vitesse, ma Corolla ne sera jamais une Ferrari. Faut assumer qui l’on est.

Pseudo

Publié: 2 mars, 2014 dans Réflexions, Société, valeurs

surnomsBaloune, Fern, Banane, Johnny, Luka, BiPoff, Chiko, Ti-Bleu, Wallus, Fafa, Bébère, Saucisse, Le beigne, Pétère, Fefesse, c’était souvent par ces noms qu’on se reconnaissait les uns les autres quand j’étais ado.

Attribuer un nom, c’est une forme d’appropriation. C’est un signe d’appartenance ou d’exclusion à un clan, une sorte de nom guerrier, un trophée ou une malédiction. Il grandit ou rapetisse celui qui le porte, il établit un rang.

Fréquemment, il est imposé par le groupe, suite à un événement déclencheur marquant. Le pseudo est d’abord repris par ceux qui ont été témoins de l’événement, mais il va parfois se transmettre à un public plus large qui n’en connait pas nécessairement l’origine. Dans certains cas, le pseudo occulte complètement l’identité officielle, à tel point que celle-ci ne semble plus représenter l’individu entièrement.

Dans les sports d’équipe, lorsqu’un joueur se démarque particulièrement, très souvent, ce seront les médias qui lui attribueront un pseudo, lequel sera ensuite repris par la population. Le Rocket, La Merveille, le Démon blond sont des pseudos familiers aux amateurs de hockey qui reconnaissent instantanément Maurice Richard, Wayne Gretzky et Guy Lafleur. 

Dans certains milieu, on s’approprie soi-même un pseudo. C’est fréquent dans les milieux artistiques, mais aussi dans les conflits guerrier. On le fait soit pour l’aura qui entoure ce nom, plus marquant que l’identité officielle, soit pour protéger sa vie privée, soit pour se donner la vie en tant que personnage, sans égards au passé. Connaissez-vous Vladimir Ilitch Oulianov, Lev Davidovitch Bronstein, Iossif Vissarionovitch Djougachvili? Dans l’ordre, je vous présente Lénine, Trotsky et Staline.

Avec la venue d’internet, la plupart des internautes ont dû, à un moment ou un autre se choisir un pseudo. Le mien « pierforest » n’est pas très différent de mon nom officiel. Il origine du début des années ’90, où on devait sur AOL se choisir un pseudo qui n’excédait pas 10 lettres. Ne pouvant utiliser mon nom complet, c’est celui qui était alors disponible et qui s’en approchait le plus. Avec les années, je m’y suis attaché. J’ai même réservé le nom de domaine, juste au cas. Curieusement, ma signature officielle s’est aussi adaptée progressivement, puisque maintenant, j’occulte systématiquement le « re » de mon prénom. Cela s’est fait tout seul. Des Pierre Forest, il y en a passablement en Amérique ou en Europe, mais Pierforest, il y en a un: C’est moi.