Atelier d’écriture de chez Mumu la Grenouille:
Consignes: Écrire une courte histoire avec les mots suivants:
Duel – couleur – début – masque – crime – flâner – enjoliver – perdre – conspirer – détourner
Mon esprit flânait ici et là, engourdi par l’alcool et la lumière tamisée, quand il fut alerté par le pas rythmé de souliers de femme venant vers nous.
Dans un bruissement vestimentaire, elle se glissa sur le tabouret de cuir rouge, juste à côté, sans nous jeter le moindre regard. Elle était consciente, bien sûr, que notre attention était maintenant tournée vers elle. Elle posa avec élégance la pointe de ses souliers noir à talon aiguille sur la frise métallique du tabouret.
Feignant l’indifférence, elle fouilla longuement dans son immense sac à main pour en sortir un porte-monnaie. Elle retourna ensuite la tête et jeta, avec désintérêt, un regard circulaire dans la pièce, nous ignorant au passage, pour bien clarifier la distribution des rôles. Je sentais clairement que le duel s’amorçait entre moi et l’autre.
La Barmaid se pencha vers sa cliente pour prendre sa commande. Elle se décida pour un Martini classique, avec olives et un zeste de citron. Attendant sa consommation, elle inspira longuement, relevant un peu les épaules, gonflant sa poitrine sous son chemisier blanc et expira bruyamment, simulant l’impatience. Elle avait annoncé ses couleurs et attendait maintenant qu’on entre en scène.
Elle jeta un coup d’œil rapide à notre double du miroir, derrière la barmaid, question d’évaluer un peu mieux ce qui était en jeu. Je portais un Jean’s marine de bonne marque, une chemise blanche ajustée dont j’avais retroussé les manches sur mes avant-bras. Le haut de ma chemise était judicieusement déboutonné, dévoilant juste ce qu’il faut de mon cou puissant. L’effet était calculé et prévisible. Elle croisa la jambe dans la direction opposée, se dévoilant un peu malgré elle, quand sa jupe noire remonta doucement sur sa cuisse.
Un début de négociation pris alors place entre moi et l’autre à savoir lequel d’entre nous ajusterait ses yeux derrière le masque. Ce n’est pas si facile de partager le même corps, d’autant que l’autre a une personnalité très différente de la mienne. Je suis l’amoureux, lui, c’est le prédateur, celui qui commet des crimes parfois atroces dont j’ai été témoin sans avoir pu intervenir. Il est, par ailleurs impensable de le dénoncer, puisqu’on l’enfermerait avec notre corps et du coup, moi aussi, même si je suis innocent. Je suis, à n’en point douter, beaucoup mieux que lui et je ne dis pas cela pour enjoliver ma position. Quand il s’installe aux commandes, je sais, pour avoir vu notre reflet dans le miroir que ses yeux brillent alors d’une démence inquiétante. C’est lui le fou, pas moi. Parfois, je l’entends conspirer avec des inconnus pour conserver seul la place que nous partageons, mais il y perdrait beaucoup au change. Sans moi, il finirait rapidement en prison ou sur la chaise électrique, comme papa, alors que je peux le détourner de ses pulsions meurtrières, en le gardant à l’écart, un temps. Je pense qu’il m’admire un peu, même s’il ne l’avouera jamais.
Je retournai notre visage vers elle, souriant, tout en engageant la conversation, mais ignorant encore si je l’aimerai ou s’il la tuera.