Archives de avril, 2023

Pour l’atelier d’écriture d’Alexandra. En s’inspirant d’une photo de Christian Bowen, écrire un court texte, juste pour le plaisir d’écrire.

@ Christian Bowen

Pour la plupart de gens, les anniversaires de naissance marquent le temps qui passe et les années qui s’accumulent. C’est une journée de flottement entre un avant et un après, un passage obligé entre le passé immuable et la naissance de tous les possibles. Pour Charlotte, c’était toujours une journée bien spéciale qu’elle aimait célébrer. Particulièrement lors du passage des décennies. Aujourd’hui, son cœur battait la chamade et les yeux fermés, elle attendait impatiemment le dévoilement de son cadeau d’anniversaire. Elle pouvait entendre les chuchotements de ses amis, les rires, les pas feutrés, l’excitation grandissante autour d’elle. Elle était curieuse de découvrir ce qu’ils avaient préparé pour célébrer son 140ième anniversaire.

À chaque instant dans notre corps, des milliers de cellules défectueuses se suicident et meurent par apoptose, tandis que d’autres se subdivisent pour remplacer celles qui sont moribondes. Ce renouvellement constant est aussi la cause du vieillissement chez l’humain, puisque le nombre de subdivisions cellulaires est limité. Une fois la limite atteinte, on reste avec de plus en plus de cellules défectueuses et non remplacées ce qui mène au vieillissement corporel tel qu’on le connaît.

Charlotte avait hérité d’une mutation génétique extrêmement rare, connue sous le nom du gène Mathusalem qui permettait à ses cellules de se regénérer à l’infini, comme le font les planaires, ces vers colorés qui intriguent tant la communauté scientifique depuis le 18ième siècle. Née en 1883, Charlotte avait mené une vie tout ce qu’il y a de plus normal jusqu’à l’âge adulte. À la mi trentaine, on avait commencé à la complimenter pour avoir préservé une apparence si jeune. Elle se maria à 35 ans avec un homme de 10 ans son cadet et eut rapidement deux enfants. Deux décennies plus tard, on entendait ici et là des commentaires empreints de préjugés envers son mari qui avait marié, disait-on, une femme qui aurait pu être sa fille, même si elle était plus âgée que lui. Face à cet étrange phénomène, son médecin n’avait pas trouvé de meilleure réponse que « vous bénéficiez d’une bonne génétique ». Arrivée à la soixantaine avec un corps de vingt ans, Charlotte passait régulièrement pour la jeune sœur de ses deux fils. Elle en arriva, tout comme son entourage, à la conclusion qu’elle ne vieillissait pas. Qu’elle ne vieillirait pas!

Quand on pense vivre éternellement, ça change un peu les perspectives. Au niveau familial, on peut avoir des enfants, décennies après décennies et créer un immense clan, toutes générations confondues et ayant tous la même mère. Au cours de sa vie, on verra également mourir beaucoup de gens qu’on aime, ses fils, filles, partenaires de vie et amis. D’une certaine façon, on aura plusieurs vies, peut-être plusieurs partenaires de vie, plusieurs carrières également. Selon le psychologue K. Anders Ericsson, il faut en moyenne 10000 heures pour exceller dans un domaine, peu importe ce domaine. À 70 ans, Charlotte décida donc de consacrer une décennie à la fois pour étudier, apprendre et exceller dans une spécialité. Elle fut donc médecin jusqu’à 80 ans, puis pianiste professionnelle, électricienne jusqu’à 100 ans, historienne, planificatrice financière, généticienne et finalement spécialiste en intelligence artificielle au cours des 10 dernières années.

— OK, tu peux ouvrir les yeux Charlotte!

Devant elle, se tenait un énorme et magnifique sablier, conçu par un artisan. On lui expliqua qu’il avait été fait d’un assemblage de bois noble finement sculpté et de verre trempé. On l’avait rempli de grains de sable provenant des quatre coins du globe et son mécanisme unique avait été fabriqué de sorte que le sable s’écoule entièrement et précisément en une décennie, pour marquer le temps, tel qu’aimait le faire Charlotte. Au signal et sous les applaudissements, on retira une petite languette et le sable commença, grain à grain, à s’écouler dans l’entonnoir de verre.

— Ah, merci tellement mes amis. C’est tout simplement magnifique! Ce cadeau me touche énormément et me ressemble tant. Vous savez, quand le temps ne nous est plus compté, quand la mort ne se profile plus au bout du chemin, on voit la vie autrement. Les jours, les heures et les minutes n’ont pas la même signification, ni la même valeur surtout en comparaison à ceux qui se savent en fin de vie. D’ailleurs, si ce n’était de cette tare génétique dont j’ai hérité, ne serions-nous pas tous en fin de vie? La fin est juste plus près pour les uns que les autres. Je n’ai pas choisi d’être ainsi et si ça m’a beaucoup apporté, je vous avoue que ça m’a aussi fait vivre de nombreuses peines et de longues réflexions. J’en arrive à la conclusion qu’il est sain d’avoir une fin. C’est un cycle qui donne un sens à la vie. Quand on dispose d’un budget de temps limité, on se doit de bien le dépenser. Mes amis, je vous souhaite donc à tous, de faire sans plus attendre les meilleurs choix qui vous rendent heureux dès maintenant, puisque si la durée varie d’une personne à l’autre, la finalité reste la même. Allez, apportez-moi ce magnifique gâteau, qu’on le déguste ensemble!

Imagine

Publié: 15 avril, 2023 dans Écriture, bêtise humaine, L'essentiel
Tags:,

Pour l’atelier d’écriture d’Alexandra. En s’inspirant d’une photo de Fred Hedin, écrire un court texte, juste pour le plaisir d’écrire.

@ Fred Hedin

— Bonjour, j’appelle concernant le logement que vous avez annoncé?

— D’accord. êtes vous noire?

— Pardon?

— Êtes-vous noire?

— Heu, non, mais je ne vois pas en quoi ça vous concerne.

— Ici, madame, les noirs et les foncés sont tous logés au rez-de-chaussée, les asiatiques au 1er, tous les écolos, granos, vegétaliens, pro-climat au 2ième étage, les gais, lesbiennes, trans, queer au 3ième étage et les normaux, c’est-à-dire les hétéros chrétiens blanc sont au dernier étage. Alors, dans quelle catégorie êtes-vous?

— Hou là là…Mais qu’est-ce que c’est que cette façon de séparer ainsi les gens?

— Question d’affinité, pour éviter les conflits. Plus les gens se ressemblent et plus il leur est facile de vivre ensemble et se côtoyer. On a bien essayé, au départ de ne pas en tenir compte, mais ce fut rapidement le bordel. Il faut se faire à l’idée que les gens n’aiment pas la diversité, ça les insécurise et ils trouvent alors toutes sortes de raison pour dénigrer et s’éloigner de ceux qui diffèrent de plus de 15% de leurs valeurs, culture et habitudes de vie. C’est prouvé scientifiquement, je l’ai lu sur Facebook récemment, alors on a figuré quelques grandes catégories pour classer nos locataires et ainsi avoir un espace de vie plus paisible pour tous.

— Oh, vous savez, sur FaceBook. Il se dit pas mal de conneries. D’ailleurs, je dois vous dire que je suis un peu choquée que vous classiez comme « normaux » seuls les hérétos chrétiens blanc. C’est à la limite du racisme, ce que vous dites-là, vous vous en rendez compte?

— Je suppose que ça vous offusque parce que vous n’êtes pas chrétienne. Vous êtes quoi? Musulmane, Juive, athée?

— Mais non, ça n’a absolument rien à voir. D’ailleurs la normalité est un jugement très subjectif. Par exemple, si vous êtes le seul blanc dans une communauté entièrement noire, on pourrait alors dire que vous n’êtes pas dans la norme et donc pas normal. Vous aimeriez qu’on dise ça de vous?

— Honnêtement, je m’en balance, parce que je n’irais pas vivre dans une communauté noire, c’est bien trop dangeureux. Bon, outre ça, j’ai autre chose à faire moi. Alors, vous êtes dans quelle catégorie?

— Je n’en reviens pas monsieur. Je suis profondément choquée par vos propos. Je refuse qu’on me catégorise ainsi. Je reconnais que certaines particularités culturelles ou religieuses de communautés autres que la mienne viennent parfois me heurter dans mes valeurs, mais je refuse d’abdiquer et forcer l’humanité à se diviser en clans.

— Ahhh, voyez vous, vous venez juste de reconnaître qu’il y a des communautés différentes avec leurs particularités culturelles et religieuses et que ça vous heurte. C’est justement pour éviter cela qu’on a mis le système en place.

— Bien sur qu’il y a des différences culturelles, alimentaires ou religieuses dans des communautés qui ont vécu séparées les unes des autres par des frontières, mais c’est justement en faisant tomber les frontières de pays, régions, quartiers ou même d’étages qu’on arrive à s’apprivoiser, s’ouvrir à la différence de l’autre. D’ailleurs, à mon avis, c’est justement ces frontières qui finissent toujours pas causer les guerres et les conflits parce que les communautés grandissent et entrent forcément en collision avec les communautés voisines pour l’occupation du territoire et alors l’enjeu sera de savoir laquelle arrivera à imposer ses règles à l’autre par la force. Toutes les guerres débutent ainsi. Toutes! Dites, vous aimez les Beatles?

— Bien sur, tout le monde aime les Beatles. C’était un groupe génial.

— Je vous invite à ré-écouter Imagine de John Lennon, c’est de ça qu’il rêvait pour l’humanité.

— Bon OK. Alors je vous case où?

— Je vais prendre l’étage du haut alors.

— Ahh, je le savais, tout ce discours c’était un peu des conneries non?

— Vous verrez bien. Dit-elle, en s’imaginant déjà former une alliance avec tous les étages en-dessous pour changer progressivement les règles.

Pétales au vent

Publié: 1 avril, 2023 dans amour, Écriture, famille
Tags:, ,

Pour l’atelier d’écriture d’Alexandra. En s’inspirant d’une photo de Johannes Plenio, écrire un court texte, juste pour le plaisir d’écrire.

@ Johannes Plenio

Parfois vers la fin, il ne reste qu’un tout petit peu de nous. D’une fleur éclatante au zénith de ta vie, tes pétales ont peu à peu perdu de leur vitalité, se sont fanées, desséchées, refermées sur elles-mêmes et transformées jusqu’à n’être plus qu’un brouillard qui s’accroche aux nuages. Et puis d’un souffle, d’un simple coup de vent, elles t’ont quitté, ne laissant plus qu’une tige maigre et dénudée.

Dans tes yeux, dans ce regard un peu vide qui ne me reconnait plus, tu sembles chercher un lien dans les recoins de ta mémoire partiellement effacée, te disant que tu as sûrement vu ce type quelque part, mais quand et où, pas moyen de mettre le doigt dessus. Ta personnalité, ton rire et tes histoires ont pris le vent et se sont dispersés de par le monde où elles se poseront doucement ici et là, redonnant vie à d’autres souvenirs qui raconteront la fleur que tu étais.